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L’YCHAIRIE - Une « aula » médiévale.

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Mémoire de pierre.

La robuste YCHAIRIE, n’a rien d’un tapis volant et pourtant, elle offre un medium idéal pour jongler avec les siècles.

Et, bien que le Temps se soit acharné à brouiller les pistes, les traces du passé sont tenaces : il suffit d’un peu d’attention, d’une sorte de démaquillage et alors, devant les évidences, l’imagination a le champ libre pour restituer le lieu originel puis les avatars successifs.

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Fonds BAUDIENVILLE-


1 – Retour vers le XIIIe siècle. La construction.

A cette époque là, «vu de la rive sud du Lot, le site de Puy-l’Evêque se présente comme une large échancrure dans les “costals” abrupts de la rive nord» ; une description où tout est dit. Je l’emprunte à Jean Lartigaut (1) Comme je lui emprunte l’éclairage qu’il donne du nom occitan «Ichayria, la maison des Ichier, équivalent du français Hector».

J’arrête là la référence au cher Jean Lartigaut car je ne doute pas que chaque lecteur ne se précipite à la médiathèque pour dévorer son livre entier : Puy-l’Evêque au Moyen Age, Le Castrum et la Châtellenie.

Administrativement, une autorité coiffe alors toute la région : celle du Prince-Evêque de Cahors qui règne en dernier ressort sur les divers seigneurs locaux.

Au “Puy” le lignage local est celui des Ychier del Pech qui y possède déjà un château accosté de la tour attenante, gage de son autorité locale ; tour qui est toujours intacte; par contre le château a disparu mais ses fondations sont bien visibles sous la Mairie actuelle.

Pour l’évêque, il s’agit d’un vassal important et bien situé : aux confins ouest de sa territorialité.

Qui décida l’édification d’une Aula prestigieuse dans le castrum du Puy ? Nous pouvons imaginer que l’entreprise ne put être conduite qu’à l’initiative du prélat cadurcien et son loyal affidé sur place.

L’un et l’autre gagnaient en affirmant leurs autorités conjointes dans cette initiative forte ; pour l’évêque, avoir une salle dédiée où réunir ses lointains vassaux offrait un signal de pouvoir spirituel à une époque où l’hérésie cathare restait dans les mémoires, et aussi une commodité afin d’y traiter des affaires temporelles ; nous dirions aujourd’hui budgétaires et droit commun. Et probablement un lieu où la Justice pouvait être rendue en son nom.

La décision fut prise : cela serait une AULA prestigieuse, bien en phase avec la noblesse des Arts du XIIIe siècle ; l’époque que nous appelons Le Moyen Age connaissait alors une apogée sur tous les plans. Ni forteresse où trouver refuge, ni habitation car l’endroit en était pourvu, cette construction atypique, improprement appelée aujourd’hui château, fut (et reste) un joyau exceptionnel.

Nous pouvons imaginer à l’intérieur le volume de la salle unique dont la surface au sol était près de 120 m2 sous un plafond à environ 6 mètres de hauteur ; un lieu confortable et élégant, éclairé par quatre grandes fenêtres sous arc à profil ogival, toujours en place : deux s’ouvraient vers l’Est, et deux vers le Sud ; ces baies ont environ 2,30 m de hauteur et leurs remplages cisèlent des trilobes de part et d’autre d’un meneau central, ce dernier portant l’oculus quadrilobé sommital.

Les embrasures de ces ouvertures sont intactes ; elles étaient accostées, de part et d’autre près du sol, de coussièges, ces petits bancs de pierre qui offraient un confort de lecture sous la lumière venant d’en-haut.

Car les fenêtres proprement dites ne démarraient qu’à 1,60 m du sol, environ, isolant l’assistance du monde extérieur, un peu comme dans une chapelle ; un niveau qui n’est pas un détail car lorsque l’on voudra transformer la bâtisse en habitation, le fait de ne pouvoir regarder à l’extérieur sera perçu comme insupportable !

Une cheminée occupait le mur Nord, signe de l’attention apportée au confort du lieu ; les vestiges en sont minimes mais suffisants pour imaginer qu’avec sa largeur de trois mètres, elle réchauffait, si besoin, l’atmosphère.

L’entrée dans la salle se faisait par une porte centrée dans le mur Est, à équidistance des deux fenêtres. Par rapport au sol naturel extérieur, elle était en hauteur et il faut imaginer escalier et terrasse, probablement en bois, pour l’atteindre ; un lieu offrant peut-être une tribune d’où parler à la foule ?

Conservée aujourd’hui, l’embrasure intérieure de cette entrée creuse le mur qui est épais d’1,40 m ; ce qui est l’épaisseur moyenne de toute la structure en pierre taillée sur trois des côtés de l’Ychairie : au nord, à l’est et au sud du quadrilatère. Seule la façade ouest est en partie affaiblie ; deux raisons sont possibles pour expliquer ce parti et, l’une comme l’autre, ont probablement joué :

  • en premier lieu la hauteur du mur, qui était fondé à l’époque sur un sol très en contrebas et aujourd’hui remblayé ; ce qui en faisait une paroi quasi-aveugle dans laquelle n’existait qu’une ouverture, haute, étroite et peu accessible ; il s’agissait là du passage emprunté par les hommes de la garde qui montaient faire le guet sur les terrasses du bâtiment lors des assemblées nobiliaires ; un parcours évitant toute communication avec la Salle,

  • seconde raison : enclos dans le castrum, ce côté ouest bénéficiait de la protection du château-logis aujourd’hui disparu, des YCHIER DEL PECH.

L’ Aula offrait un volume unique, sans division dans son état d’origine.

Elle était assise sur un haut soubassement aux murs épais d’1,50 m qui délimitaient, sur le sol de terre battue, un vaste espace rectangulaire voûté en berceau continu. A la clef, la voûte de cette salle basse s’élevait à plus de 5 m ; c’était un chef d’œuvre d’une grande perfection, réalisé en pierres sèches de densités appropriées si l’on en juge par la moitié sud, la seule subsistante. La partie nord, effondrée, sera reconstruite sans grand soin au XXe siècle.

Dans cet espace, complètement érigé sur ses quatre côtés, logeaient d’un côté les hommes de l’escorte et, de l’autre, leurs montures. Tout y est en place et révélateur. - Gilles SERAPHIN (2)-

Côté toiture, créneaux et merlons entouraient une terrasse sommitale -ou toiture basse ?- accessible, comme il est dit, par la façade ouest ; le Temps en a eu raison. La limpidité de cette élévation nous a été transmise par huit dessins d’un recueil notarié, les Annales d’Arnal de Salas (3) ; en préambule des actes de chaque année nouvelle, de 1289 à 1296, le scribe avait esquissé un minuscule schéma à main levée ; ce dessin, huit fois reproduit, offre dans sa concision limpide, le schéma stylisé de l’édifice qui se construisait. Magnifique témoignage en direct de l’attention portée à l’évènement. Une fierté peut-être ? Par contre, les 260 pages du document ne traitent, strictement, que d’affaires notariales !

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Annales d’Arnal de Salas-

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Restitution façade Est - Fonds BAUDIENVILLE-

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Superposition - Fonds BAUDIENVILLE-


2. Du XIVe au XVIe siècle.

Nous avons souligné cette sorte de « pré-renaissance » qui mûrissait au XIIIe siècle, une époque d’essor démographique, qui avait vu se construire des bastides, soit françaises soit anglaises ; sortes de « colonies de peuplement », non belliqueuses, qui se développaient en bonne intelligence de part et d’autre. Il s’agissait de lieux de vie ouverts étonnamment modernes.

Puis l’inattendu vint contrarier l’essor qui s’affirmait sur tous les plans. Progressivement le siècle suivant s’englue dans ce que l’on va appeler « les malheurs du temps » : famines et disettes suivies de la Guerre de Cent Ans et de la Grande Peste, pandémie implacable, qui parcourut l’Europe à partir de 1347 provoquant la mort de la moitié des populations. Hécatombes et époque noire. Un XIVe siècle durant lequel les malheurs viendront de « partout », et pas seulement de la Grande Peste.

Une vie au ralenti ? Monsieur MAYSSAL (4) indique qu’en ce début du XIVe siècle, pourtant, sur le versant Est de la vallée, la construction de l’église avait été entreprise, probablement à l’emplacement d’un lieu de culte plus ancien comme c’est souvent le cas. On avait débuté par l’édification d’un chevet plat, à la mode anglaise ! Il décrit ensuite une « période où Puy l’Evêque a subi d’importants dégâts ». En ce qui concerne l’église, on sait que la construction se poursuivra jusqu’à la fin du XVe siècle, sous égide française.

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Vue sur le versant Est en 2021, depuis une fenêtre de Lychairie - Fonds FONTAINE -

Les bastides, ces villes idéales pour temps de paix et de prospérité, s’entourèrent de remparts. A l’apparat succéda le souci de la survie. Qu’en fut-il de l’occupation de l’Ychairie ?

Progressivement s’inscrit alors dans les murs l’adaptation à un usage moins solennel. A la fin du XVe siècle, l’ensemble d’un couronnement défensif a probablement déjà disparu et, dans le volume récupéré, au dessus de la salle unique, est installé dans les hauteurs un élément de confort : il s’agit de latrines ; elles sont construites en encorbellement tout en haut du mur Nord, très au dessus du niveau « naturel» du terrain . Avançons une date autour de 1500 ? Des chambres à plafond bas prennent-elles déjà place à ce niveau comme la présence de fenestrons autorise à le penser ? L’existence d’une porte de bois à décor en «plis de serviette», caractéristique des décors en usage, conforterait l’hypothèse.

Ce qui ne s’accomplit pas sans grands bouleversements. Est-ce de cette époque que date l’escalier intérieur qui monte désormais depuis le sol de l’Aula ? Cette salle d’honneur conçue pour être isolée de toutes présences et contingences extérieures deviendrait dès lors un lieu accessible de passage.

La volée de marches trouve place contre le mur ouest de la pièce, sous une arche ample et aveugle, en arc brisé ; elle vient se raccorder aux quelques degrés qui, en hauteur, donnaient à la «garde» l’accès à la terrasse.

Bref, on comprend bien que la solennité qui s’attachait à l’utilisation du lieu a disparu. Autre époque. Autre destin.


3. Le long passage dans l’ombre.

Qui a dit : «lorsque l’on dédaigne un lieu, le Temps devient assassin» ?

C’est bien ce qui s’est passé ici. Le fait d’avoir été une bâtisse prestigieuse ne sauvait pas l’Ychairie ; son archaïsme et son inutilité en l’état la condamnaient, aussi bien située fut-elle avec vue dominante sur la ville et sur la vallée. Elle n’était tout simplement plus « à la mode » et mal commode avec cette salle encaissée qui la privait de la vue sur l’extérieur.

Bien des questions restent sans réponse. A quelle époque la partie nord de la voûte portant l’Aula s’est-elle effondrée ? Et pour quelle raison ? La décision de construire en Sud le castel gracieux dit Ychairie Basse (vers 1600 ?) en fut-elle la conséquence ?

Désormais l’YCHAIRIE Haute devint une dépendance de la nouvelle l’YCHAIRIE qui continua à utiliser la seule partie accessible sans danger : c’est-à-dire la surface dégagée au niveau de la terre battue, sous la voûte qui du côté Sud était restée intacte ; un accès fut d’ailleurs creusé dans la maçonnerie en perçant cette voûte dans son angle sud-ouest et un cheminement fixe prit place entre les demeures.

Maintes activités se déployèrent en ce lieu qui en garde les stigmates. Côté ville, ce local gardait également un accès : la partie gauche, côté « piétons » de l’ancienne porte au niveau du sol. Car au dessus, l’ensemble du grand volume était devenu dangereux et toutes les ouvertures de la façade Est furent murées. Qu’en était-il du toit ?

Vu de la ville, la spectaculaire façade n’ offrait plus que l’aspect d’une sorte de grosse tour aveugle, un bloc qui s’était complètement refermé, mis à part ce «trou de souris» à ras de terre par lequel on s’infiltrait sous l’immense muraille. Au-dessus, les deux fenêtres côté soleil de l’Aula primitive étaient condamnées mais ne semblent pas avoir été murées.

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Fonds Mayssal -

Combien de temps a duré cet état ? Trois siècles ? La plus ancienne photo conservée figure sur carte postale qui porte le timbre à date de 1902 (merci Monsieur MAYSSAL !). Elle est prise d’en face, du versant Est de la ville. On se préoccupe à l’époque de l’édifice car s’y découvre une surprenante ouverture moderne , un rectangle en hauteur, encadré d’un bâti de couleur claire, creusé dans l’épaisseur du mur de l’ancienne Aula, au niveau et à gauche de ce qui avait été son entrée haute, du côté qui offrait pour sol le sommet de la voûte médiévale ; une vraie fenêtre donc prenant jour à hauteur d’homme. Etrange verrue mais un contresens porteur d’intérêt car c’était un premier pas vers une récupération de l’édifice.


4. XXe siècle : Le « fonds » qui nous est parvenu.

En effet, en 1894, l’ensemble du fonds, c’est-à-dire les deux YCHAIRIES, fut acheté par Pierre PUECH et son épouse Marie-Mathilde CURE. Pierre PUECH est notaire et il sera maire de Puy l’Evêque….

C’est bien ce couple qui décide de la réhabilitation, “officialisée” par l’ouverture moderne ouvrant à bonne hauteur vers l’extérieur pour un meilleur agrément de vie. Un début. Ont-ils l’intention de restituer à son niveau d’origine la moitié nord de la voûte, celle qui n’existe plus depuis des lustres, afin de récupérer l’ensemble du vaste volume intérieur ? Il semble que la première initiative, le percement de l’ouverture moderne, leur ait conseillé qu’il «était urgent d’attendre» et réfléchir ! Poursuivre le percement de fenêtres modernes dans ces murs épais est-il perçu comme une folle et coûteuse utopie qui aboutirait à un résultat non satisfaisant ?

La réflexion mûrit longtemps et le moyen terme décidé relève d’un tout autre parti : la voûte sera bien reconstruite, mais à un niveau plus élevé que celui qu’elle avait à l’origine, ce qui aura l’avantage d’utiliser les ouvertures médiévales telles quelles car elles deviendront alors des fenêtres ouvertes à bonne hauteur. Et pour rendre l’étage noble utilisable sans qu’il y ait un “saut” d’1,30 m entre le sol porté par la voûte projetée et le niveau, en contrebas, fondé l’ancienne voûte, le recours à un plancher flottant est décidé pour apporter la continuité des sols. Toute la vie pourra se dérouler dés lors sur une unique surface plane.

Travaux considérables à l’intérieur comme à l’extérieur ! Pierre PUECH décède en 1925, probablement avant qu’ils ne soient entrepris. Marie-Mathilde et ses deux enfants poursuivent le grand œuvre. Nous leur devons la réalisation de l’alignement les ouvertures de la façade Est : l’ancienne entrée ainsi que la fenêtre toute neuve furent hissées de manière à avoir leurs bases et sommets au même niveau de ceux des baies médiévales. Etrange unité factice jusque dans les profils ogivaux, mais traitée avec le plus grand soin pour unifier les profils ogivaux des quatre ouvertures. Dénotaient les menuiseries de bois à petits carreaux…

Monsieur MAYSSAL date de 1935 les derniers aménagements de façade.

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Fonds MAYSSAL -

Par héritage les deux édifices passèrent ensuite aux familles PENDARIES, NIEUCEL-ROLLAND, jusqu’au jour où le destin de deux Ychairies divergea définitivement, ce qui eut lieu en 1972. A partir de 1981, ni l’une ni l’autre des deux maisons n’appartint plus aux descendants PUECH.

Au cours de ce XXe siècle, il y eut :

  • ceux que le site et la bâtisse faisaient rêver, l’appréciant et cherchant à tout prix à la faire revivre en la rendant habitable,
  • ceux que flattait l’appellation château
  • ceux qui, ne rêvant que banlieues et rugby, la détestèrent,
  • ceux qui s’y trouvaient bien l’été – pour le jardin -, mais hivernaient à Nice,
  • ceux qui y virent, un jour de mardi-gras 1995, un Patrimoine à préserver.

Sur le portail du jardin une pancarte indiquait « A vendre » et la rumeur disait que l’impressionnante bâtisse n’intéressait personne.

Il est vrai qu’elle se mourait, imprégnée, rongée par l’humidité qui, par le toit, lui venait de la pluie et, plus insidieusement du sol, par les maçonneries au contact direct de la haute masse des terres de remblai en ouest. Elle était devenue une éponge malsaine dont l’assèchement seul dura sept années.

La végétation et les pigeons avaient creusé dans les murs des cavernes où le bras s’enfonçait jusqu’à l’épaule.

L’intérieur était à l’avenant ; restait la vue.

Les tranches de travaux échelonnèrent d’année en année. Avec les conseils et l’aide du regretté Pierre BURC, architecte, et la fidélité de Monsieur Jean Paul BONIFON, le maçon qui a le “sens” de la pierre. Le premier but fut de rendre à l’Ychairie son “regard” en restituant aux fenêtres les remplages de pierre tels qu’ils étaient à la fin du XIIIe siècle….

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Restitution des remplages - 1997- Fonds BAUDIENVILLE-


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2013 - Restauration face Sud et Est de Lychairie -

Puis la vie passe, se réservant les choix et décidant en dernier ressort. Elle conclut à notre place et dit : nous ne sommes que de passage.

Sources :

(1) LARTIGAUT (Jean), Puy-l’Evêque au Moyen Age, le Castrum et la Chatellenie (XIIIe - XVe s). ed. du Roc de Bourzac, 1991. Un jour, une rue, ou une place de la ville, portera son nom.

(2) SERAPHIN (Gilles), L’Ostal de l’Ychairie à Puy-l’Evêque (Lot), Bulletin Monumental de la Société Française d’Archéologie, tome 160-I, 2002.

(3) BAUDIENVILLE (Marie Paule), L’Ychairie et les Huit Dessins des Annales d’Arnal de Salas, Bulletin de la Société des Etudes du Lot, tome CXL, juillet-septembre 2019.

(4) MAYSSAL (Jacques), Puy l’Evêque et son canton, cartes postales et clichés anciens, Cahors, France Quercy, 1999.


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PUY L’ÉVÊQUE - 2021-